Comment vivons nous le contexte de la Grèce d’aujourd’hui?

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Nous sommes un groupe de personnes, jésuites et laïcs, résidant à Athènes concernées par la crise sociale et économique qui frappe la Grèce depuis six ans.

La Grèce: ce pays qui aime tant la vie, tant la liberté (éleutheria !) mais qui a connu aussi tant de crises, tant de dominations, menaces et désorganisations dans son histoire! Cette crise est combinée avec l’arrivée massive de réfugiés et migrants d’Afrique, de l’Extrême comme du Moyen Orient après la vague d’immigrations des Balkans qui déferla à la suite de la chute des régimes communistes.

Soit par notre activité professionnelle comme assistantes sociales travaillant pour telle ou telle ONG, comme juriste engagée ou par simple désir humain de servir et d’aider, soit comme jésuites au contact de la pauvreté dans la vie quotidienne de notre mission, nous avons déjà rencontré et soutenu plusieurs immigrés de toutes origines et de tous âges. Nous savons aussi par le travail de Caritas et les divers efforts de paroisses ou lieux d’accueil catholiques ou orthodoxes que les grecs eux même sont concernés par les aides et soutiens que nous voudrions voir  se multiplier. Nous en aidons aussi plusieurs comme personnes ou comme familles. Trop d’entre eux perdent leur  goût de vivre, leur grande capacité de résistance.

Nous avons une réelle expérience de leurs motivations, de leurs besoins et attentes : moyens alimentaires et sanitaires, aide à l’instruction et l’éducation des enfants, vêtements pour les autochtones comme pour les étrangers (« oi  Xenoi »), moyens pour rester et s’intégrer en Grèce en demandant l’asile politique, ou bien, plus souvent, demandes d’aides pour pouvoir quitter le pays aux services publics chaotiques et… trouver une vie meilleure dans un autre pays européen. C’est moins les grecs et leur réelle générosité philoxène que la Grèce en ses structures que de nombreuses personnes désirent quitter.

Nous avons bien entendu le slogan de campagne de la coalition étrange qui se trouve aujourd’hui au pouvoir, coalition de petits partis de gauches, partie communiste inclus, jusqu’à un petit parti de droite radicale d’où fut choisi le ministre actuel  de la Défense… Sans oublier le président droitier récemment élu non sans réelles critiques de tous bords pour pratiques anciennes «combinardes à couleur de corruption»…

«I ELPIDA ERCHETAI: L’ESPERANCE ARRIVE » tel était, tel est encore le slogan à l’heure où nous mêmes, nous en sommes simplement à vouloir assurer un avenir nouveau à notre expérience.

Oui, il fallait réagir, relever la tête devant une Troïka de jeunes technocrates donneurs de leçons avec chiffres et tableaux mais nous sommes conscients que la Grèce va être  longtemps encore  marquée par la situation présente. La responsabilité est dans les murs comme dans la diaspora grecque lointaine et peu solidaire, elle n’est pas qu’à Berlin, Paris ou Bruxelles.  Nous savons aussi que  les pays comme la Syrie, la Lybie, l’Irak, l’Afghanistan vont demeurer longtemps ruinés,  fragiles et chaotiques même si la paix enfin revient.

Notre propre action nécessite une meilleure intégration dans une organisation européenne plus large et plus précise, en étroite collaboration et interconnexion avec d’autres ONGs en Grèce et si possible un état fort, aux instances publiques davantage au travail.

Chômage, pauvreté et misère ont encore augmenté récemment.  La situation des immigrés a empiré et ils atteignent souvent le pays après avoir enduré des voyages dangereux et ruineux sur terre comme en mer depuis la Turquie ou les côtes africaines.

La Grèce qui n’a dans son histoire que peu d’expérience de donner asile à tant de personnes est dépassée et non préparée à répondre aux besoins de ces immigrants et à devenir un pays d’accueil. Depuis trois ans,  les «  camps de rétention » se sont multipliés sur le territoire, financés pour une grande part par l’Europe. Ils servent d’unique réponse à tous les défis. Or les besoins de respect et d’humanité sont grands aussi dans ces camps – prisons où sont « retenus » systématiquement et pour  18 mois minimum toute personne trouvée sans papier dans le pays.

Est ce pour cette raison que le gouvernement de coalition Syriza  – non sans quelques couacs et dissensions internes déclarées – a annoncé la fermeture de ces camps? Nous avons de quoi nous réjouir… Nous pourrions avoir de quoi nous réjouir… Mais, la main libre sera – t’elle donnée aux passeurs en tout genre même présents, ne rêvons pas, dans le camp d’un certaine « police»?

Quelle politique d’immigration et d’accompagnement de ces personnes est engagée ici et maintenant ? Entendrons nous seulement, sur fond de vide dans l’action,  le fréquent «C’est ainsi que l’on fait ici »,  ‘Etsi Kanoume’ ?

Nous ne sommes pas sans espoir, nous voudrions croire aux bonnes intentions présentées comme humaines et même humanitaires par le jeune premier ministre Tsipras aux talents politiciens reconnus et par son ministre des finances le professeur Varoufakis. Comme de nombreux grecs, nous attendons, un brin heureux un brin sceptiques, un brin fiers un brin craintifs, l’effectivité des annonces ou des décisions, le  suivi réel  et l’accompagnement en actes de leurs paroles engagées et engageantes.

«Tha doume ! Nous verrons ! », entendons nous partout. Ce verbe « voir » conjugué au futur veut donner une chance à notre nouveau contexte de gouvernance nationale. ‘Ola ginontai » ‘ Tout est possible’! On voudrait y croire plutôt que de végéter comme enfermés dans un fatum  ou enfumés d’encens religieux à senteurs d’opium populaire, dans des formes de résignation ou fatalisme pratique: «Ti na kanoume ? » ‘Que faire’, ‘Qu’ y pouvons nous?’

On voudrait croire que les amis d‘Europe – co-héritiers d’un berceau de civilisation si  extraordinaire –  aideront à passer les caps non seulement économiques et financiers mais aussi culturels et confessionnels pour vivre autrement le rapport de chacun à la responsabilité de soi et du bien commun, le rapport aussi de l’église et de l’état, du sacré et du profane. Oui, la charité œuvre et peine à travers ce pays de résistants et de personnes ou  familles généreuses. Oui l’église orthodoxe comble ce que l’état en vérité inexistant ne fait pas mais s’interroge t’elle suffisamment sur ses silences et ses absences dans l’histoire passée et présente qui appelle des consciences éveillées et responsables?

Quand choisirons nous vraiment une certaine sobriété partagée dans une économie sociale approfondie de Bruxelles à Athènes? Quand et comment vivrons nous en Europe comme en Grèce, avec une certaine vérité économique et inventivité sociale, les mots de l’apôtre en sa Lettre aux Hébreux ? Quand ses mots – attentifs aux plus pauvres – résonneront-ils comme moins utopiques ?

 «Frères, que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. Souvenez vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux. Souvenez vous de ceux qui sont maltraités car vous aussi, vous avez un corps », Hébreux 13.

Maurice Joyeux SJ