«Les agriculteurs sont les esclaves du XXIe siècle. Ils sont maintenus tête hors de l’eau par le seul bon vouloir des puissants» Jacques, agriculteur à Blier (Belgique).
Au centre culture parisien Centquatre s’est déroulée tout au long de la COP21 une série d’évènements, de conférences et d’ateliers nommés zone d’action climat (ZAC) et organisés par la coalition 21 en collaboration avec l’association Via campesina. Des vidéos de sensibilisation sont diffusés avec comme but un changement radical du monde de la production et de la consommation. Des débats animés par des agriculteurs venus des quatre coins de la France, des ateliers découvertes pour les plus petits ou encore des zones de réflexion sont proposés à un public qui a répondu présent à l’appel. On apprend, par exemple, que près de 50% de la nourriture produite n’est pas consommée mais fini directement à la poubelle.
Dans une ambiance chauffée à blanc par les manifestants venus du monde entier et des syndicats en colère a été jouée la pièce “Nourrir l’humanité, c’est un métier“, qui a remporté le prix citoyen tournesol d’Avignon. Cette pièce a été écrite par la compagnie Art & tça, un jeune couple belge, et nous emmène à la rencontre d’agriculteurs de Wallonie (Belgique). En partant du constant sans appel lancé par un agriculteur : « l’écart entre les citadins et les ruraux ne cesse de croître, on ne se connait plus », les deux protagonistes dépeignent finement les réalités auxquelles la profession doit faire face présentement.
Grâce à une vision intimiste via l’utilisation de vidéo-documentaires et d’interprétations théâtrales, l’immersion est totale et nous sommes tour à tour confrontés aux inquiétudes liées aux quotas laitiers ou à des réflexions concernant la survie de la profession. Issu du milieu agricole, le metteur en scène évite toute forme de misérabilisme en nous décrivant la vie paysanne dans ce qu’elle a de plus dur, la soumission aux grandes banques mais aussi aux joies que procurent cette vie en osmose avec la nature et les animaux.
A travers l’expérience des agriculteurs, nous sommes amenés à penser les rapports au pouvoir politique, en particulier à l’Union Européenne (avec sa Politique Agricole Commune), le faible poids des syndicats, les procédures administratives de plus en plus pesantes, le mépris venant des citadins pour un métier qu’ils ne comprennent plus ou la violence du libéralisme économique toujours à la recherche d’économies d’échelle. En effet, à l’usure et à l’épuisement émanant de la vie quotidienne s’ajoute l’augmentation sans cesse croissante du libre-échange et de la globalisation qui asphyxie chaque jour un peu plus les petits producteurs et les poussent à produire toujours davantage pour satisfaire les quotas, ce qui engendre un endettement massif.
Nombre d’entre eux lègueront d’ailleurs énormément de dettes à leurs enfants, ce qui est bien peu de choses en comparaison aux doutes quant au futur du monde dans lequel ils vivront. Bien plus qu’une simple description linéaire et creuse du milieu rural, cette pièce sort des sentiers battus pour tenter la difficile entreprise de dresser le portrait d’une profession vouée à disparaitre si aucune solution n’est trouvée. Plus encore, cette pièce est une virulente attaque portée au système capitaliste actuel responsable, selon eux, de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons.
En définitive on ressort de la salle chahuté, percuté presque assommé, passant du rire aux larmes grâce à une interprétation subtile et dynamique, mais en se sentant vivre, vivant et un peu plus conscient d’une situation de déchirement vécue par une partie de la population dont nous ignorons presque tout de leur souffrance.
Victor Henriette
JESC